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La légende = noire du capitalisme au XIX° siècle
par François Guillaumat, ch. XV de= Michel Leroy et le Club de l'horloge, L'Occ= ident sans complexes. éd. Carrère, 1987
Il existe, à propos du rôle du capitalisme au début de l'ère industrielle, un énorme, un surprenant décal= age entre la réalité des faits, maintenant bien établie, et la perception qu'en ont les gens, même dans les milieux qui se prétendent intellectuels. J'avouerai qu'en traitant ce sujet, j'ai un peu l'impression de devoir enfoncer des portes ouvertes. Mais cela demeurera nécessaire, tant que la légende noire qui imprègne tant d'esprits ne se sera pas complètement dissipée.
Cette légende, encore extraordinairement vivace, repose essentiellement sur trois thèmes : tout d'abord, l'exploitation et la misère; ensuite, les crises économiques, qui seraient dues à l'instabilité naturelle du capitalisme; enfin, la monopolisation croissante de l'activité 'économique par les capitalistes.
Il est essentiel, au préalable, de bien définir le capitalisme. Car c'est souvent une mauvaise compréhension de= ' sa véritable nature qui permet tous les malentendus. Le capitalisme, C'est beaucoup moins le pouvoir des capital= istes qu'un [p. 252] régime de laissez-faire, c'est-à-dire un état dans lequel la violence est proscri= te dans les rapports sociaux. Or, le premier aspect de la légende est précisément que l'exploita= tion et la paupérisation sont inévitables dans un régi= me de laissez-faire. Pourquoi? Parce que l'échange libre permis par le laissez-faire serait par nature un échange inéga= l : idée que l'on retrouve dans le thème du « renard l= ibre dans le poulailler libre » ou encore dans l'expression si souvent utilisée de « concurrence sauvage ». Cette not= ion d'échange inégal est centrale dans la théorie marxiste et il faut bien voir qu'elle porte en germe la condamnat= ion radicale de toute liberté contractuelle.
Ainsi donc, par les mécanismes de l'échange inégal, ou de l'exploitation pour parler en termes marxistes, le capitalisme aurait engendré un appauvrissem= ent généralisé et massif des populations ouvrières = au début de la révolution industrielle. Divers éléments sont présentés à l'appui de cette thèse. On utilise, par exemple, les descriptions du sort pénible des ouvriers dans les usines, et en particulier des enfants, contenues dans = des enquêtes contemporaines des débuts de l'ère industrielle. Et l'on attribue cet état de choses à la mise en concurrence des salariés entre eux, liée à l'avènement du machinisme : selon la théorie marxiste, en effet, l'accumulation du capital déplace,&n= bsp; évince progressivement les ouvriers et favorise ainsi la b= aisse des salaires. Certaines pratiques sont considérées comme des preuves de l'exploitation, comme celle consistant à payer les ouvriers en nature au lieu de les payer en argent. Les accusations sont à cet égard parfois contradictoires : on dénonce l'exploitation dans la pratique consistant pour l'ouvrier à faire l'avance de son salaire en attendant que le produit soit vendu; mais on dénonce également l'endettement des ouvriers vis-à-vis de leurs patrons, qui les aurait maintenus dans une situation de dépendance et les aurait empêchés de négocier leurs salaires dans une position de force.
[p.&nbs=
p;253]
La longueur des horaires de travail est, de même,&nbs=
p;
attribuée a l'action néfaste du capitalisme, sans que l=
'on
se demande dans quelle mesure l'allongement de la durée du
travail était accepté par les intéressés
eux-mêmes. La concurrence capitaliste est accusée d'avoir
entraîné une déqualification des ouvriers. Enfin, =
on.
ne manque pas de souligner la précarité des conditi=
ons
de logement dans les zones où la révolution
industrielle a entraîné de grands déplacements
de population : abondance des taudis, absence d'éliminati=
on
des déchets, logements mal aérés... Cette
situation, dont l'enquête de Villermé fournit
la description la plus. saisissante, est attribuée
à l'inégalité du rapport de forces entre des
propriétaires rapaces et des locataires démunis
de liberté de choix, à cause de leur
état de dépendance économique.
Second élément de cette « légende
noire » : le capitalisme engendrerait une profonde
instabilité se traduisant par des crises économiques
périodiques. Pour les marxistes, c'est l'accumulation
excessive du capital qui finit par conduire à la mévente.
Certains économistes, comme Sismondi, ont plutôt m=
is
l'accent sur la notion de surproduction. Quoi qu'il en soit,
ces analyses ont elles-mêmes débouché sur deux id&eacut=
e;es
aujourd'hui encore bien ancrées dans le discours politique. La
première idée, c'est que les Etats sont
nécessairement conduits, à un certain moment,
à fermer leurs frontières et à pratiquer une politique
d'expansion coloniale, pour s'assurer des débouchés et
éviter ainsi les crises de surproduction. C'est
la thèse popularisée par Lénine - et que celui-ci
avait lui-même empruntée à l'économiste britanni=
que
Hobson, de « l'impérialisme, stade suprême du
capitalisme ». Cette thèse a 'été reprise par des
historiens qui ont interprété les changements d'attitude=
des
principales puissances économiques à l'égard du
libre-échange comme le « produit » d'un certain niv=
eau
de développement de la société capitali=
ste.
Mais c'est ignorer le fait que les libéraux, et
les partis qui constituaient l'expression politique du
libéralisme, ont géné[p. 254]ralement
été très réticents à l'égard des
politiques coloniales, ou les ont ouvertement combattues.
Parallèlement, s'est répandue l'idée que
la création des banques centrales, que la politique
monétaire de l'Etat auraient permis de juguler les cr=
ises
du capitalisme. Pourtant, nombreux sont les spécialistes =
qui
pensent que c'est au contraire l'existence de banques centrales qui a
provoqué les crises 'économiques. C'est, aux
Etats-Unis, l'interprétation d'Anderson et de Friedman.
C'était aussi l'analyse de l'école des 'économist=
es
libéraux en France au XIX° siècle, tels que
Frédéric Bastiat ou Charles Coquelin.
J'en viens à la question des monopoles. L'équation &laqu=
o;
capitalisme égale monopole » est popularisée par
la vision marxiste de l'histoire, qui se rapproche sur ce p=
oint
des conceptions propagées par une partie des 'économistes
mathématiciens. Ces derniers supposent qu'il existe des industries q=
ui
seraient naturellement monopolistiques. Le courant marxiste, de =
son
côté, postule que les rendements seraient croissants
avec la taille des entreprises, insiste sur l'efficacité'
plus grande d'une organisation centralisée, et dès lors
annoncent l'émergence inévitable d'une sorte de monstrue=
use
organisation qui serait entre les mains des capitalistes ayant
réussi à survivre à la concurrence,
lesquels, naturellement, exerceraient sur les citoyens un
pouvoir dictatorial. On voit par là le lien qui existe entre ce=
tte
thèse et celle de l'échange inégal. Pour fournir
la preuve de la tendance innée du capitalisme à
former des monopoles, on invoque généralement
le mouvement de concentration des entreprises qui se serait produ=
it
au XIX° siècle, et qui se poursuivrait au XX° : i=
dée
tout à fait inexacte (on sait, grâce à des travaux
comme ceux de l'Institut de l'Entreprise, que
la concentration industrielle n'a absolument pas bougé en France
depuis le début du siècle), mais largement
diffusée dans la population, y compris par des films &laq=
uo;
grand public », comme Mille milliards de dollars d'Henri
Verneuil.
[p.&nbs=
p;255]
Le ressentiment contre les monopoles a non seulement facilité
la pénétration de la propagande marxiste,
mais a aussi favorisé l'apparition d'une législation restrict=
ive.
Cela a commence aux Etats-Unis avec la loi Sherman
de 1890, votée alors que les compagnies de chem=
in
de fer étaient accusées, a cause de leur
taille, d'avoir exploité les agriculteurs. Bien que cette
législation n'ait pas réellement été
appliquée jusque vers 1900, elle est devenue aujourd'hui
un élément important du droit économique
américain, et s'est répandue dans tous les pays
occidentaux, notamment en France après la Libérati=
on,
puis a été consacrée par les articles 85 et 86 du
traité de Rome.
Voilà donc les principaux thèmes sur lesquels s'est
appuyée la critique du capitalisme au XIX° siècle et=
qui
contribuent aujourd'hui encore à entretenir un climat
de culpabilité à propos de ce système
'économique. Cette « légende noire » permet, =
; a
contrario, de justifier toutes les mesures dirigistes,
qui seraient nécessaires, prétend-on, pour combat=
tre
les tares inhérentes au capitalisme.
Que faut-il, en réalité, penser de ces
thèses?
Reconnaissons, tout d'abord, qu'un certain nombre des faits
historiques invoqués sont tout à fait exacts :
la pauvreté populaire, les crises
économiques, les monopoles ont bel et bien existé.=
La
longueur de la journée de travail, l'emploi des
enfants dans les usines sont des faits bien attestés. Des crises
économiques se sont périodiquement produites au XIX°
siècle : on peut citer, pour la France,
les années 1806, 1811, 1819-1825; 1830-31,
1837, 1846, etc. Des positions de monopole se sont
constituées non seulement aux Etats-Unis, mais aussi dans d'au=
tres
pays comme l'Empire allemand, sous le nom de « cartels
» ou de « Konzerne».
Ce qui, en revanche, prête à controverse, c'=
est
l'interprétation de ces faits, et de la question
de savoir s'ils sont à attribuer à un mythique
« capitalisme » ou à d'autres causes.
Considérons, par exemple, le thème
de la misère du [p. 256] [p. 256] peuple. La
pauvreté est certainement demeurée très grande
au début du XIX° siècle. Mais les historiens
de l'économie sont à peu près d'accord, dep=
uis
50 ans, pour affirmer, contrairement à la croyance
la plus répandue, que le salaire et le revenu m=
oyen
ont augmenté depuis la fin du XVIII° siècle. Ils
ont augmenté considérablement, malgré quelques
irrégularités dues aux guerres ou aux crises économiqu=
es.
Et c'est un fait qu'à partir de la fin du XVIII°
siècle, en France, les famines ont cessé.
Dès lors, si l'on prétend attribuer à
la Révolution industrielle et au capitalisme la pauvret&ea=
cute;
qui régnait à l'époque, il faut expliquer aussi
pourquoi les gens étaient encore plus pauvres avant.
Au demeurant, même si les salaires et les conditions
de vie S étaient détériorés aux déb=
uts
de l'ère industrielle, encore aurait-il fallu prouver que
le capitalisme en est responsable. Or, la simple croissance
de la population peut très bien suffire à
entraîner une baisse du niveau de vie. De même, l'un=
des
meilleurs spécialistes de l'économie
du développement, Peter Bauer, a fait remarquer que
l'amélioration du niveau de vie, qui se traduit
notamment par une augmentation de l'espérance de vie des p=
lus
pauvres, peut conduire à une diminution passagère =
du
revenu moyen par tête : il suffit pour cela que l'allongement
de l'espérance de vie des plus pauvres fasse augmenter
la proportion de ceux-ci dans la population suffisamme=
nt
pour compenser l'effet de l'accroissement du revenu. Il convient
naturellement, de tenir compte du fait que, comme tout
phénomène économique, la révolution
industrielle s'est produite par à-coups, qu'elle a engendr&eac=
ute;
des bouleversements importants qui ont fait subir des pertes à certa=
ins.
Et l'une des raisons pour lesquelles elle a suscité une si forte
hostilité a été, précisément,
les pertes subies, du moins à court terme, par
les propriétaires fonciers.
En ce qui concerne les conditions sanitaires et les conditions
de travail, observons tout d'abord qu'à
l'époque, comme le fait remarquer William Hutt dans son p=
etit
livre [p. 257] Le Capitalisme et les historiens, l'é=
tat
sanitaire de la population était assez indépendant
de l'appartenance à une classe sociale. On peut aussi
remarquer, comme le fait cet auteur, que si l'apparition
de la machine à vapeur a permis d'employer les femmes=
et
les enfants dans les usines, l'idée prévalait
alors que ce genre de travail 'était plus facile que
les autres. C'est pourquoi, avant toute chose, il convient
de comparer les conditions de travail des enfants et des fem=
mes
au début de la révolution industrielle, non p=
as
aux conditions actuelles, mais à ce qui leur 'était off=
ert
à l'époque dans d'autres emplois, en particulier dans
l'agriculture, ou à la situation de semi-errants qui
résultait de la surpopulation rurale.
J'ai
'évoqué précédemment la pratique du paieme=
nt
différé, ainsi que l'endettement des ouvriers aupr&egra=
ve;s
de leurs patrons. Ces pratiques sont le signe, non pas des
méfaits du capitalisme, mais d'une insuffisance
de capitalisme, je veux dire par là une insuffisance du
marché financier: il n'y avait a priori aucune espèce
de raison, si le système financier avait
été plus perfectionné, que l'ouvrier emprunte
auprès du capitaliste. De même, c'est
la rareté du capital qui conduisait souvent les petites
entreprises à ne pas faire l'avance des salaires : contrairement
à ce que colporte la légende,
le développement du capitalisme a permis en fait de passer
de ce partage des risques entre le patron et l'ouvrier,
à une concentration des risques sur le capitaliste,
grâce au progrès de l'industrie et à
la croissance du marché financier. La rareté du cap=
ital
obligeait enfin à rentabiliser au maximum les machines, ce
qui explique en partie la longueur de la durée du
travail : situation aujourd'hui jugée inacceptable, mais qui f=
ut
pourtant l'objet, à l'époque, d'un certain consen=
sus,
au point que, souvent, les usines qui
réduisaient la durée du travail virent partir leurs
salariés, lesquels souhaitaient gagner plus en travaillant plu=
s.
L'opinion commune est tout aussi erronée en ce qui [p. 258]
concerne la qualification des ouvriers : contrairement à
la légende, le problème qui est apparu au cou=
rs
de la révolution industrielle n'est pas
la déqualification, mais le manque
de qualification. En fait, la demande pour les produits
de luxe, produits exigeant beaucoup de travail qualifi&eacu=
te;,
n'a nullement baissé, bien au contraire; d'autre part,
la croissance industrielle a elle-même crée' le beso=
in
de travaux très spécialisés, par exemple po=
ur
l'entretien et la fabrication des machines. Ce qui donne l'impression
qu'il y a eu déqualification, c'est l'augmentation rapide du
nombre des ouvriers et le fait que les nouveaux arrivants, =
pour
la plupart, n'étaient pas qualifiés.
Ce qui est encore moins connu, même
des économistes, C'est l'influence perverse que certaines
interventions publiques ont eue sur la qualité
de la construction et ce que nous appelons aujourd'hui
la qualité de la vie. On s'est beaucoup indigné
des conditions d'hygiène et d'entassement dans lesquelles vivaient
les gens. Or, cela ne résultait pas du tout du
capitalisme, mais de l'état de la médeci=
ne
de l'époque, et aussi de l'effet pervers
de la réglementation. En France, en
Grande-Bretagne, il existait un impôt sur les portes et
fenêtres, qui incitait à ne faire que des ouvertures
très petites et favorisait ainsi le manque d'hygiène : a=
ir
stagnant, humidité, etc. L'effet de cet impôt
'était renforcé par des droits fonciers relativement lourds q=
ui
réduisaient l'offre de logements, à une 'ép=
oque
où la mobilité accrue de la main d'¦uvre
avait fortement accru les besoins. On ne doit pas sous-estimer,
enfin, l'influence des taux d'intérêt
élevés, largement dus aux manipulations financiè=
res
des pouvoirs publics : c'est vers les années 1820, en
Angleterre, que l'on a observé le plus grand nombre
de constructions mal faites ou dangereuses, alors que
le gonflement de la dette publique avait considérable=
ment
restreint l'offre de capital.
Tout cela montre que les accusations portées contre
le capitalisme « fauteur de misère et
d'exploitation » manquent [p. 259] en réalité leur
cible. Elles procèdent plus de réactions passionnelles q=
ue d'une
analyse lucide et argumentée. Elles n'ont pas plus de valeur que
les protestations de certains pasteurs ou moralistes britanniques=
qui
s'indignaient de la régression morale engendrée par
le système industriel, de l'indépendance que
le salariat donnait aux femmes, et des « goûts
de luxe » que l'enrichissement donnait aux ouvriers : par
exemple, boire du thé plutôt que
de la bière, ou abandonner leurs vêtements
de laine, si avantageux, pour se vêtir de coton=
...
J'en viens maintenant au problème des crises économiques. Il =
est
regrettable que l'on connaisse si peu aujourd'hui l'explication qui en
'était donnée par les économistes de 1)
époque, explication qui a d'ailleurs été reprise
plus récemment par l'école autrichienne avec Ludwig von Mises=
et Friedrich
Hayek. Dès le XIX° siècle, des gens comme Char=
les
Coquelin, dans son livre Le Crédit et les banques, =
ou
Frédéric Bastiat, avaient compris que c'était au
privilège d'émission des billets de banque par les banqu=
es
centrales que l'on devait l'instabilité financière. Ce
privilège rendait possible une émission excessive de mon=
naie
qui baissait artificiellement les taux d'intérêt,
faisant croire que certaines entreprises 'étaient plus rentables
à long terme qu'elles ne l'étaient réellement. A
la longue, ces entreprises finissaient par ne plus pouvoir honor=
er
leurs engagements, et les pertes qui apparaissaient brutalement =
se
traduisaient par des effondrements périodiques du système
financier. Ce privilège de la banque centrale
détruisait en fait une information essentielle pour
la régulation du marché financier: l'information permett=
ant
de savoir ce que l'on doit produire comme monnaie, et en quelle
quantité. Là encore, rendre le capitalisme coupable
de ce genre de phénomènes, c'est passer
complètement à côté de la question.
Il y
aurait, de même, beaucoup à dire sur l'origine
des monopoles, qui ont bien souvent été le fruit
de l'intervention[p. 260]nisme étatique. C'est vrai, =
par
exemple, pour les chemins de fer aux Etats-Unis,
où la restriction artificielle de la concurrence et
les privilèges attribués par les Etats ont conduit
à la construction de nombreuses lignes ne correspondant pas
à un vrai besoin, et par là même fortement
déficitaires.
Remarquons d'autre part que, dans une société où
les innovations sont extrêmement nombreuses, il est naturel
qu'une nouvelle activité, à ses débuts, so=
it
propice aux positions de monopole, tout simplement parce que
très peu de gens ont pense a s y engager en même temps. Ce
phénomène s'est produit pour l'industrie du pétrole,&n=
bsp;
que l'on invoque si souvent comme « preuve »
de la tendance irrépressible du capitalisme à
la concentration. La vérité, c'est que des
investissements et des innovations d'organisation considérables ont
'été réalisés initialement, conduisant
à ce qu'une seule entreprise occupe 90 % du marché. Mais cela
S)est produit alors que l'industrie du pétrole se trouvait encore da=
ns
l'enfance, et rien ne permet de penser que cette situation '&eac=
ute;tait
vouée à se pérenniser.
Au demeurant, une simple réflexion logique sur les fondem=
ents
du capitalisme permet de se rendre compte de l'incohérence
de la plupart de ces accusations. Prenons le cas
de ces images frappantes du « renard libre dans le poulaill=
er
libre », ou de la « concurrence sauvage ».
L'image du renard libre traduit l'action d'un individu qui se livre à
une agression violente. Or qu'est-ce que le laissez-faire,
sinon, comme je l'ai indiqué, un état social dans
lequel l'agression violente est précisément proscrite? En
revanche, cette image. n'est pas sans rapport avec l'attitude
de certains politiciens ou bureaucrates enclins à se
considérer comme des animaux d'une espèce différente
de celle des simples citoyens; des animaux qui pourraient s'arroger
le droit de faire des choses considérées comme des
délits, lorsque ce sont des gens ordinaires qui
les commettent. De la même façon, l'idée
de « concurrence sauvage » est une parfaite contradiction.=
La
[p. 261] vraie question est de savoir si la concurrence s'ex=
erce
par la confrontation des capacités productives ou par
la possibilité d'entraver la capacité productive des
autres. Or, ce deuxième mode de fonctionnement
de la concurrence est, trop souvent, celui qui
prévaut sur ce que l'on appelle le « marché politi=
que
».
L'incohérence n'est pas moindre dans cette expression plus
élaborée de l'anti-capitalisme qu'est le marxisme.
Adhérer à la thèse marxiste de l'écha=
nge
inégal, de l'exploitation, C'est prétendre q=
u'un
contrat qui est accepté de part et d'autre est malgré to=
ut
injuste, qu'il est malgré tout le signe d'une «
exploitation ». C'est là récuser toute logique,
puisque, dans ce sens, il ne peut y avoir d'exploitation sans
violence ou fraude. C'est aussi nier toute responsabilité
personnelle, puisque l'on suppose implicitement que les agents ne
sont pas autonomes. Quant à la théorie
de la plus-value, qui donne une forme prétendument
scientifique à la notion d'exploitation, elle n'aurait
dû, à la rigueur, être réellement
prise au sérieux que pendant quatre ans; c'est-à-dire entre
la parution du tome 1 du Capital et la résolution du parad=
oxe
de la valeur en 1871. Marx lui-même, dans le pre=
mier
tome du Capital, reconnaissait que sa démonstration pouva=
it
paraître contradictoire avec les données
de l'expérience et annonçait de plus amples
explications dans la suite de son ouvrage. Or, ces explicat=
ions
ne sont jamais venues.
J' évoquerai, pour terminer, quelques explications que l=
'on
peut avancer de cet extraordinaire succès
de la légende anti-capitaliste. Remarquons tout d'abord que
le changement social conduit à considérer comme anormales
des situations qui allaient de soi dans le passé. Ce qui
distingue le XIXe siècle du XVIII° siècle de ce
point de vue, ce n'est pas l'augmentation
de la pauvreté, mais la plus grande conscience =
que
l'on en avait: la question sociale a été mise à
l'ordre du jour au XIX° siècle parce qu'il y a eu
suffisam[p. 262]ment de progrès matériel pour que
l'idée de faire disparaître la pauvreté devie=
nne
autre chose qu'une chimère.
Deuxi&e=
grave;me
remarque, le développement économique est un mouve=
ment
complexe, qui n'est pas uniforme dans l'espace ni dans le temps.
A certaines périodes, on voit apparaître des gens d=
ont
la situation s'est détériorée, d'autres dont
le sort est meilleur, d'autres aussi dont la situation s'est
améliorée mais qui souffrent d'une sorte
de déracinement culturel. Et il est vrai que,
généralement, ce qui marche mal est plus visible que ce=
qui
marche bien, que l'on s'intéresse plus aux problèmes
à résoudre qu'à ceux qui sont en voie de solution=
.
Une autre explication de l'expansion du mythe est à rechercher =
dans
les rapports de forces politiques. Il faut ici évoquer
l'influence d'un courant politique très puissant à 15
époque, que l'on peut appeler « conservateur »,&nb=
sp;
et qui était tout à fait opposé à l'industrie. =
Les
« conservateurs » de l'époque étaient des
propriétaires terriens qui voulaient de la main-d'¦=
uvre
à bon marché et des prix élevés, et qui
s'inquiétaient fort de la concurrence que pourraient leur faire
les salaires plus élevés de l'industrie. Ce qui est
remarquable, ce sont les procédés auxquels certains
d'entre eux se livraient pour dénigrer les industriels,
allant jusqu'à exhiber un jeune homme difforme de naissance,&nb=
sp;
lequel expliquait à qui voulait l'entendre que cela 'était
dû aux conditions de travail à l'usine. Ajoutons à
cela, bien entendu, l'influence des divers mouvements intellect=
uels
débouchant souvent sur des conceptions politiques hostiles au capita=
lisme
: non seulement le marxisme, mais aussi l'école historici=
ste
allemande, ou en Grande-Bretagne les intellectuels du mouvement
« fabien », tels que Sydney et Béatrice Webb.
Mais au-delà de ces quelques explications, ce qui est aus=
si
en cause, c'est tout simplement l'ignorance et la paresse intell=
ectuelle.
Trop souvent, les gens ne cherchent pas à s'informer
complètement de ce qui s'est réellement passe, mais
préfèrent s'en remettre à l'opinion d'autrui ou
écouter [p. 263] seulement ce qu'ils ont eux-mêmes envie
de croire. Ils préfèrent céder au mirage
des mots creux ou aux séductions de la « langue
de bois »! C'est par là que se propagent le plus
facilement les mythes anticapitalistes.
Et c'est par là qu'il nous faudra commencer si nous voulons
combattre la culpabilisation à. propos du capitalisme, qui
conduit à l'affaiblissement moral et à l'incapacité
de promouvoir des politiques authentiquement libérales.